(attention, histoire nostalgique et un peu triste)
Mon père était l’homme le plus lent du monde. Le couscous, par exemple, c’était grain par grain. Il sortait une petite fourchette de sa poche, une fourchette aux dents minuscules, et piquait l’un après l’autre, placidement, chaque atome de semoule. Il prenait le temps de mâcher, de mâcher, mâcher encore. Je revois le métal de son outil spécial transpercr le ventre de chaque grain jaune porté vers sa langue vorace, mais patiente. Moi j’avais déjà croqué, dégusté, digéré trois merguez, deux carottes, un navet, une belle courgette, du bouillon rouge qui pique la langue, j’étais prêt pour la mousse au chocolat. Mon père n’en était qu’à son dix-huitième grain. Il était si lent qu’il n’eut jamais le temps de finir une phrase.